Interview de Christophe Dargère

28 mars 2021 | Reportages

Interview de Christophe Dargère, 

Président de l’Association pour l’Histoire Vivante

 

 

[La Loutre de Béryl] Christophe, je te laisse te présenter en une phrase.

[Christophe Dargère] Je m’appelle donc Christophe Dargère et je suis directeur de l’ApHV, l’Association pour l’Histoire Vivante, association qui fête ses vingt ans cette année.

 

Tu es devenu une des figures de proue du milieu de l’histoire vivante, est-ce que tu peux nous parler de tes activités au sein de cette association et du but poursuivi ?

L’association a été créée en 2001. Je m’en occupais en tant que président avec une activité professionnelle à côté. L’ApHV s’est par la suite énormément développée entre 2001 et 2005, date à laquelle j’ai décidé de me consacrer intégralement à la direction de l’association.

Aujourd’hui, l’ApHV gère entre vingt-cinq et trente manifestations historiques par an. Il s’agit soit de manifestations créées et gérées intégralement par l’association, comme le marché de l’Histoire de Compiègne, soit de manifestations que l’on coordonne et cogère avec des conseils départementaux, des municipalités ou des sites privés.

 

On comprend que l’objectif principal est la promotion de l’histoire vivante, est-ce que tu pourrais développer ?

Tu parlais tout à l’heure de reconstitution historique, mais pour nous l’histoire vivante c’est bien plus que cela. Elle comprend effectivement la reconstitution historique mais aussi le spectacle historique, la médiation, le patrimoine, etc. C’est un terme bien plus global et qui rassemble tout un panel d’activités que l’on essaye de faire cohabiter. 

Au-delà des activités, la cohabitation se fait également au niveau des acteurs : différents professionnels et amateurs de différentes époques sont valorisés au travers de nos évènements.

L’objectif est de mettre à disposition nos connaissances et notre savoir-faire pour organiser soit des représentations, soit des tournages pour des documentaires historiques qui mettent en valeur l’histoire vivante et ses acteurs.

 

Comment es-tu arrivé dans l’histoire vivante ? Es-tu historien ? Quel est ton parcours ?

Je suis pas du tout historien ! Je suis ingénieur en électronique et informatique, ce qui n’a rien à voir. Je suis juste passionné d’Histoire depuis que je suis tout petit. C’est d’ailleurs cette passion qui m’a fait quitter Lyon après mes études. Au début des années 1990, il n’y avait pas grand-chose en France autour de l’Histoire. Je suis donc parti travailler à Paris à cette époque spécialement pour profiter des stages d’escrime historique, des troupes et autres activités que proposait uniquement la capitale. 

J’ai fait partie de différents groupes, j’ai créé des troupes, principalement sur la période XVe siècle mais un peu sur le XIe aussi. En XIe, j’ai participé plusieurs fois à la bataille d’Hasting en Angleterre, par exemple.  

Ça a toujours été une passion. À côté de cela, j’ai commencé à travailler en tant qu’ingénieur en électronique et informatique, mais je me suis rapidement dirigé vers le marketing et en particulier vers tout ce qui touche à l’événementiel. J’ai commencé à travailler à Thomson, puis à Canal+ Technologies où j’ai terminé directeur de l’événementiel pour Canal+. J’organisais donc des évènements partout dans le monde.

À côté de ça, ma passion restait l’Histoire et la reconstitution historique. Je faisais partie de plein de groupes et participais à de nombreuses sorties, en particulier des sorties à l’étranger, notamment sur les marchés en Angleterre. J’ai visité mon premier marché en Angleterre en 1992 à Oxford.

Au début des années 2000, dix ans après, je me suis rendu compte qu’il n’y avait toujours pas de marchés similaires en France. Je trouvais ça dommage, il y avait énormément de potentiel avec des artisans prêts à aller en Angleterre pour vendre et qui seraient également prêts à venir en France. On s’est donc dit qu’il fallait que l’on crée notre propre marché. 

En 2001, on a créé l’ApHV. Pendant deux ans, on s’est construit un réseau en contactant des exposants, des troupes, des artistes et en 2004, on a lancé notre premier marché à Herblay. Durant le week-end, trois fois plus de visiteurs qu’attendus ont fait le déplacement. Plusieurs marchands y ont écoulé tout leur stock et sont repartis, parfois, avec un an et demi de commandes. 

D’ailleurs, je me suis fait maudire par tout un tas de gens qui avaient claqué plusieurs mois de salaire et moi-même je me maudissais d’avoir dépensé un paquet de fric sur ce week-end-là.

C’était une réussite. On avait tapé juste.

On est donc passé de Herblay à Pontoise pour un espace plus grand. Puis, cela marchait tellement bien qu’il a fallu qu’on l’organise deux fois par an car il y avait trop de demandes. En parallèle, on développait d’autres évènements. On a ensuite été contactés par des mairies comme Bayeux ou Orléans qui voulaient redonner un peu d’historicité à leurs manifestations historiques. 

En 2006, on a lancé « Historissimo » qui est devenu « Fous d’Histoire » qui a également eu du succès.  Enfin, on a déménagé à Compiègne en 2016 pour un espace encore plus grand. 

En interne, on gère jusqu’à cinq-six manifestations : Fous d’Histoire à Compiègne, le marché de l’Histoire à Orange, à Compiègne et à Minden en Allemagne, on a eu temporairement Nantes, Dinan, etc. À ces évènements s’ajoutent une vingtaine d’autres évènements co-organisés.

 

Combien êtes-vous à organiser tous ces évènements ? 

L’associations embauche un directeur salarié et deux à trois équivalents temps-plein répartis entre une dizaine d’intermittents. Du reste, une quinzaine de membres de l’association sont très actifs. Enfin, il faut compter trente à quarante bénévoles par évènements. 

 

Quelles perspectives d’évolutions pour l’ApHV et ses évènements ?

Pour nous, tout allait bien jusqu’en 2016 mais ces dernières années ont impacté notre évolution, une tempête en 2016, puis les gilets jaunes, puis le Covid. Actuellement, certains projets sont suspendus et, avec eux, les recrutements prévus en 2019.

Mais on continue d’organiser des choses, on fait comme si ça devait avoir lieu. Si c’est le cas, tant mieux, sinon, ça permet de s’occuper…

Concernant le Marché de l’Histoire de Compiègne d’avril, nous l’avons décalé aux 26 et 27 juin 2021.

 

L’Europe occidentale reste beaucoup au cœur du milieu de l’histoire vivante en France, est-ce qu’il n’y aurait pas là un axe de développement ? Qu’en est-il pour l’histoire vivante africaine, asiatique, etc ? Je pense par exemple aux grands empires africains qui ont marqué l’Histoire et dont on entend assez peu parler et même pas du tout en ce qui me concerne.

Oui, tout à fait. Dans les diverses manifestations que l’on gère, on aime bien montrer le Moyen Âge ailleurs, en Asie, dans les pays du Nord, au Moyen-Orient. On adore sortir des sentiers battus et il y a énormément de choses à voir. Désormais, on commence à avoir des troupes grecques qui commencent à voir le jour en France et c’est une bonne chose. 

Je trouve que c’est vachement bien. À titre personnel, je suis friand d’histoire vivante américaine, la guerre de Sécession, par exemple. 

Le public reste d’ailleurs très porté sur ce qui se passe à l’étranger. Ce qui marche avec la restauration marche également avec l’Histoire, surtout en ces temps où on ne peut plus voyager.

 

Tu es annoncé comme futur animateur du projet Medieval TV, dont le financement est toujours en cours, dans lequel tu vas présenter ta propre émission : Ars et Manufactura. Peux-tu nous en dire plus ?

Alors, oui le financement est toujours en cours, on a peut-être été trop optimistes en espérant l’atteindre en un mois. C’est peut-être dû à la période et à la crise, puisque le principal obstacle auquel nous sommes confrontés, c’est le tarif à 7 € 90 par mois. 

Néanmoins, pour les gens qui ont les moyens, 7 € 90 par mois, c’est moins cher qu’un livre, qu’un paquet de clope, qu’un cinéma. On nous compare avec Netflix mais c’est incomparable. Netflix se base sur des millions d’abonnés, ils peuvent se permettre de fixer des tarifs bas. Là on est sur de la création audiovisuelle de qualité, avec un public de niche donc il faut qu’on soit réaliste et si on ne veut pas de publicité – ce qui est le cas –, on n’a pas le choix. 

À l’inverse, on n’est pas non plus sur un fonctionnement YouTube avec des vidéos gratuites mais chargées de publicités. De même, il est question d’une vraie production de tournage, avec des cadreurs, des spécialistes lumières, des spécialistes sons. 

Sur la base de 3 000 abonnés et de 4 émissions par mois, cela nous donne un peu plus de 4000 euros HT par émission sans compter les frais fixes. C’est vraiment peu. Heureusement qu’on est passionnés, car on ne va pas se faire d’argent avec ça !

Désormais, il n’y a plus de date de fin, on laisse les gens s’inscrire jusqu’à atteindre le palier de mise en route.

 

De quoi devrait parler ton émission ?

Il s’agirait de reportage sur l’artisanat et l’artisanat d’art, tout simplement car c’est le sujet que je connais le mieux à travers les marchés de l’Histoire. Cela fait vingt ans que je fais venir en France et que je côtoie des artisans et des artistes de plein de nationalités différentes. 

Je connais beaucoup de monde, des gens très qualifiés et qui ont beaucoup de choses à nous montrer et à nous apprendre. 

Le premier à passer dans l’émission serait donc le forgeron Gaël Fabre. Il nous parlera de son expérience, de son parcours, de ses méthodes de forgeage. Il nous parlera également de certaines de ses pièces d’exception. 

Il donnera aussi quelques trucs et astuces pour les novices et les confirmés concernant le forgeage d’épée.

Pour l’anecdote, nous avions également pensé à Gaël Fabre pour un futur 31 de l’Histoire, nous allons donc revoir notre copie pour ne pas paraphraser votre émission. À suivre donc !

 

Existe-t-il un cliché véhiculé par la culture moderne au sujet de l’Histoire ou d’une période historique qui vous désespère ? De notre côté, ce sont les casques à cornes et les représentations de Méduse.

Il y en a deux sur ma période de prédilection. Le premier est le postulat déclarant que tout le monde au Moyen Âge était sale. Pourtant, on a aujourd’hui les moyens de montrer que l’hygiène au Moyen Âge était quelque chose d’assez important. Pas chez tout le monde, mais comme aujourd’hui : pas chez tout le monde…

Le deuxième cliché insupportable est l’idée comme quoi, lorsqu’on tombe avec une armure, on ne se relève pas. Ce qui est complètement faux ! Au combat, si on ne se relève pas c’est qu’on est mort ou blessé. Les armures étaient travaillées pour être ultra maniables. Malgré un poids certain, elles permettaient d’être protégé en étant efficace au combat. 

C’est à la fois drôle d’entendre ces clichés revenir d’évènements en évènements et terriblement énervant.

 

Tu dis dans ton interview menée par Thibault Hycarius de la chaîne « Histoire Appliquée » que tu n’es pas un grand lecteur, j’ai tout de même envie de te poser cette question : que penses-tu de notre projet de faire de la fiction littéraire un outil de médiation ?

J’ai été lecteur. J’ai lu beaucoup de fantasy mais je n’en ai plus le temps. Je redeviendrai lecteur à la retraite, quand j’aurai le temps. En ce moment, je suis plutôt un gros consommateur de séries.

Le projet est bien. Comme je te l’ai dit, j’ai lu pas mal de fantasy et quand on se dirige vers des romans qui sont à la limite de l’historique et du fantastique, il n’y a aucune connexion, à ma connaissance, à l’heure actuelle qui vient expliquer ce qui est historique et ce qui est fictif. 

Cette idée d’annexe est intéressante car elle permet de positionner le roman quant à son niveau d’historicité. 

C’est ce qu’on reproche à beaucoup de films et de séries. Le pire étant ceux qui se disent historiques… Jeanne d’Arc de Besson, arhg ! Dans ses interviews, Besson ne cessait de dire que c’était un film historique. Dans ce genre de productions, audiovisuelles ou littéraires, il faut être honnête et être capable d’expliquer au public ce que l’on voulait faire à travers son œuvre. L’historicité n’est pas forcément un but ultime, d’ailleurs le film est divertissant mais il n’a rien d’historique et le spectateur aurait dû le savoir.

(Pour une approche davantage tournée sur l’histoire vivante, n’hésitez pas à regarder la vidéo d’Histoire appliquée : https://youtu.be/IbCDTGU7X20 )

 

Que dirais-tu si tu devais donner envie à des néophytes de découvrir l’histoire vivante ?

Il y a 50 millions de façons d’aborder l’histoire vivante : vous êtes passionné d’Histoire, vous pouvez y aller, vous êtes passionné d’artisanat, vous pouvez y aller, vous êtes passionné de combats, vous pouvez y aller, et de même pour le spectacle.

C’est extrêmement large et touche à énormément de choses. Dans ce milieu, on peut facilement se faire une place qui correspond à ce qu’on cherche. Il n’y a pas beaucoup de loisirs qui permettent ça : quand on fait du foot, on fait du foot.

C’est, à ma connaissance, le loisir le plus vaste et le plus large qui existe donc vraiment adaptable à ce que l’on recherche.

 

Une anecdote à raconter ?

Je n’ai jamais été passionné de combat, mais j’ai fait Hasting. J’ai mis un an à me faire mon costume en cherchant à être le plus historique possible, d’abord par envie de bien faire, mais aussi pour passer les contrôles des organisateurs. 

Sans avoir jamais été porté sur le combat, je me suis retrouvé en pointe de la ligne normande, à gravir la colline pour aller enfoncer les rangs saxons : je n’ai jamais ressenti de l’adrénaline comme ça. J’ai fait plein de sports différents pourtant. Et ce n’est pas mon truc le combat !

Mais c’était impressionnant ! 

Pour ces deux raisons : pour ce qu’on peut vivre et ce qu’on peut faire à travers l’histoire vivante, c’est vraiment quelque chose que je conseille à tout le monde, quel que soit l’âge d’ailleurs.

(Pour ceux qui ne connaissent pas l’évènement de reconstitution d’Hasting, il s’agit d’une reconstitution de la bataille du 14 octobre 1066 opposant les saxons de Harold II aux Normands de Guillaume le Conquérant. Il rassemble à l’endroit historique de la bataille, entre 5 000 et 6 000 reconstituteurs combattants, conformément aux effectifs de l’époque.)

 

Que recommanderais-tu à nos (futurs) lecteurs qui découvriraient l’histoire vivante grâce à cette interview et qui souhaiteraient s’y mettre ? 

Déjà, il faut qu’il, ou elle, choisisse la période qui l’attire le plus. Après il faut rencontrer les gens, venir sur un évènement pour discuter avec les troupes, les artisans, etc. 

Le top c’est de venir à un évènement comme « Fous d’Histoire », c’est blindé de participants, d’associations, de professionnels qui sont là aussi pour créer des liens.

Savoir aussi vers quel angle on souhaite se diriger : professionnel ? associatif ? combattant ? non-combattant ?

Il ne faut vraiment pas avoir peur d’aller à la rencontre des gens.

 

Des suggestions pour des prochains 31 de l’Histoire ?

J’en ai plein ! À n’en choisir qu’un, je t’invite à prendre contact avec Ludovic Moignet, le directeur de Samara.

 

Un grand merci à Christophe pour toutes ces réponses et à bientôt pour un prochain 31 de l’Histoire !

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